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Garanties & sûretés
culture juridique pour tous

Mise à disposition des biens placés en fiducie ?

Les magistrats d’une cour d’appel l’ont récemment confirmé :

La fiducie comme garantie sans dépossession ne se présume pas !

Et à dire vrai, on le comprend et l’approuve, car les enjeux, selon si cette dépossession existe ou non, sont puissants.

Expliquons-nous...

On sait que la fiducie, introduite timidement dans notre droit en 2007 et plusieurs fois remaniée depuis, est conçue comme une forme de patrimoine d’affectation :

  • une personne, le constituant,
  • transfère la propriété de tel biens ou droits dans les mains d’un fiduciaire,
  • charge à ce dernier de le remettre, à terme, à un bénéficiaire (le constituant lui-même, ou une tierce personne) après l’accomplissement de telle mission ou la survenance de tel évènement.
La fiducie est utilisable aujourd'hui soit à des fins de gestion dédiée sur des biens spécifiques, soit de mise en garantie prioritaire de ces biens

Dans ce dernier cas, elle est souvent qualifiée de « reine des sûretés ».

= ceci, du fait de l’isolation totale dont bénéficient les biens remis par le constituant dans les mains du fiduciaire, avec mission conférée à ce dernier de les remettre au créancier en cas de défaillance.

Dès lors, totalement exfiltrés du patrimoine de ce constituant débiteur, ils sont affranchis de toute confusion avec ses autres potentiels engagements.

Et donc le créancier bénéficiaire de cette fiducie est protégé de toute concurrence avec d'autres éventuels ayant cause. Qui dit mieux ?

Cela étant, le code civil prévoit que le constituant peut conserver, alors même que la propriété des biens est transmise au fiduciaire, la jouissance de ceux-ci.

Ceci, au moyen d’une convention parallèle de mise à disposition, et dans des conditions prévues au contrat.

 

Or, dans une telle hypothèse, le constituant peut imposer, même s’il devait par la suite faire l’objet d’une procédure collective, la poursuite de cette convention de mise à disposition (article L.622-13 du Code de commerce).

 

En effet dans un tel cas, le fiduciaire ne pourra aucunement, à peine de nullité (art. L.622-23-1), transférer les biens aux bénéficiaires, ou les réaliser pour leur en remettre le prix, même en cas :

  • d’ouverture d’une procédure,
  • d’échec d’un plan de sauvegarde ou de redressement,
  • ou de défaillance à l’égard d’une créance née antérieurement au jugement d’ouverture.
Et dans le cas tranché par les juges, que s'était-il passé ?

Une société holding avait eu recours à l’emprunt.

Et en garantie pour les créanciers, ses filiales avaient remis des biens immobiliers dans le patrimoine d’un fiduciaire, chargé de réaliser ces biens en cas de non-remboursement de la dette.

 

Mais la société mère fit faillite,

les deux filiales aussi,

une procédure collective étant ouverte contre elles et regroupant une meute d’autres créanciers à leurs trousses.

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Et alors ?

Alors, les créanciers munis de la garantie fiduciaire, forts de leur droit exclusif, réclamèrent l’application des clauses du contrat de fiducie, pour que soient immédiatement vendus les immeubles, et les prix leur en soit tranquillement remis sans aucun partage avec tous les autres créanciers.

Ils sommèrent le fiduciaire d’agir en ce sens.

 

Mais celui-ci fut pris en tenaille par les autres créanciers (représentés par l’administrateur judiciaire), qui s’y opposèrent.

Ils soutenaient que la société débitrice avait, dans les faits, conservé l’usage des biens remis en fiducie.

Et que du coup, l’article L.622-23-1 s’appliquait.

De ce fait, il empêchait selon eux toute vente des biens.

Leur but étant d’éviter de voir ces valeurs leur échapper.

 

Saisie du litige, la cour d’appel de Bordeaux le trancha dans un arrêt du 18 décembre 2023 (n° 23/04451).

Elle donna tort aux créanciers concurrents, et satisfaction aux créanciers fiduciaires.

Selon elle, la vente était en effet possible, car il n’y avait pas eu de convention de mise à disposition.

En effet, voyons ce que les juges ont relevé :

  1. les dirigeants de la société débitrice avait conservé simplement dans les faits la gestion des immeubles en question, à l’appui d’un mandat de gestion que le fiduciaire (propriétaire temporaire des biens, donc) leur avait unilatéralement confié.
  2. Et cette société débitrice ne s’était maintenu aucun droit de jouissance personnelle sur les immeubles,
  3. dont les loyers étaient d’ailleurs scrupuleusement remis au propriétaire temporaire, c’est-à-dire au fiduciaire.
  4. Aussi, faute de réelle convention de mise à disposition sur les biens affectés en sûreté, l’article L.622.-23-1 n’avait pas lieu de s’appliquer.
  5. Et de ce fait, la vente déclenchable par les conditions stipulées au contrat de fiducie pouvait avoir lieu.

CQFD.

Encore un domaine de haute sensibilité, où, selon la réponse apportée à une question clé, ce sera radicalement vie ou mort pour l’une des deux interprétations.

Précision et clarté expresse devront donc être le maître-mot des conventions.

Comme toujours, tout est question de sur-mesure, de réflexion personnalisée, et de vision à long terme. Dirigeants, investisseurs, créanciers, prenez le temps de vous en emparer avec des spécialistes.