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Les parts de SCPI ne sont pas des valeurs mobilières!

Retour sur une décision qui remonte déjà à 18 mois en arrière (Cour de cassation, 2ème civ., le 8.12.2022).

Mais sa portée pratique nous paraît considérable, et mérite donc un focus.

Rendue à l’occasion d’un contentieux portant sur des voies d’exécution, ses conclusions poussent en réalité très au-delà de ce seul périmètre.

L’avenir devrait montrer qu’elle impacte de nombreuses et importantes dimensions juridiques.

En effet, par cette sentence,

la Haute Cour écarte la position selon laquelle les parts de SCPI (« pierre-papier ») seraient des valeurs mobilières, comme par exemple des actions de sociétés cotées

alors que beaucoup le pensaient, du fait notamment de l’existence d’un marché secondaire contrôlé.

 

Pour cela, les hauts magistrats se fondent tout d’abord sur la simple lettre loi, en l’article L.211-14 du Code monétaire et financier, qui exclut expressément le caractère négociable de ces parts : « A l’exception des parts des sociétés civiles de placement immobilier mentionnées à l’article L. 214-114 et des parts des sociétés d’épargne forestière mentionnées à l’article L. 214-121, les titres financiers sont négociables.»

On déduit donc de ce premier élément que si les parts de SCPI sont bien des titres financiers, par exception ils ne sont pas négociables.

Par ailleurs, la Cour rappelle que la notion de valeur mobilière est définie par l’article L. 228-1 du Code de commerce :

« Les valeurs mobilières sont des titres financiers […] qui confèrent des droits identiques par catégorie. »

On touche donc à la notion essentielle de fongibilité.

Et en la matière, les juges l’écartent pour ce qui concerne cette sorte de titres financiers, constatant que leur transfert de propriété résulte d’une inscription, non pas au compte-titres de l’acquéreur, mais sur le registre des associés.

Si l'on pousse la logique, ces raisonnements sont d’une importance capitale sur au moins trois sujets.
  1. Tout d’abord :

Si les parts de SCPI ne sont pas fongibles, alors qu’elles ne sont déjà pas consomptibles,

cela signifie qu’elles ne sont pas susceptibles de connaître un quasi-usufruit si elles sont démembrées.

 

Examinons ceci dans deux contextes de vie patrimoniale.

En 1er lieu, l’hypothèse de la succession, suite au décès du porteur de parts de SCPI.

Situation fréquente en pratique, quand on sait le succès et la variété de ce genre d’allocations.

Lorsque ces parts se trouvent alors touchées par un démembrement (ex : usufruit pour le conjoint survivant et NP pour les enfants du défunt), ces titres se trouvent bien sûr démembrés, comme tout le reste :

mais l’usufruitier ne disposera pas d’un quasi-usufruit.

Classiquement, il pourra librement disposer des fruits, c’est-à-dire des revenus éventuellement générés par ces titres, ou devra en subir les éventuels déficits.

Le tout à charge pour lui d’en assumer les obligations déclaratives :

  • dans son IR (revenus fonciers)
  • et dans son éventuel IFI (sur ce dernier point, potentielle répartition de valeur entre l’usufruitiers et les NP si l’usufruit est d’origine légale : hypothèse notamment du cas visé par l’article 757 du Code civil)

 

Mais il ne pourra aucunement disposer du capital de ces titres, sans l’accord des nus propriétaires.

Et si ces derniers en conviennent, pour vendre à un tiers, alors ils seront cédants de leur droit de NP. L’usufruitier, n’étant pas quasi-usufruitier, n’est pas seul cédant.

  • DONC le sort du prix (répartition capitalisée, ou au contraire maintien du démembrement) devra lui aussi faire l’objet d’un accord entre les tenants des droits démembrés.

 

Serait-il possible toutefois d’imaginer un quasi-usufruit « du fait de l’homme », c’est-à-dire étendu d’un commun accord sur un actif pour lequel la loi ne prévoit pas d’office un quasi-usufruit de droit ?

On pourrait par exemple imaginer cette extension dans un contexte post-mortem, c’est-à-dire dans le cadre d’une convention de quasi-usufruit négociée avec les enfants ;

ou au contraire, prévoir cette extension prévue ante mortem, par exemple dans le cadre de conventions entre époux, au sein d’un régime matrimonial conventionnel prévoyant des règles spécifiques pour l’horizon du premier décès d’entre eux.

Est-ce possible ?

Selon nous, non, car il manquerait un élément.

En effet,

  • Pour conventionnellement admettre une extension du quasi-usufruit, il faut que l’actif démembré présente :
    • Selon une partie de la doctrine (à notre avis excessive) : le caractère d’un bien consomptible ET fongible (= finalement, les conditions du QU de droit, ni plus ni moins)
    • Selon une autre partie (minoritaire) de la doctrine, qui rejoint l’extrême inverse : aucune autre condition que la volonté n’est nécessaire. Ce qui nous paraît également poussé trop loin.
    • Selon une autre frange de la doctrine (à laquelle nous adhérons) : au moins le caractère d’un bien fongible, même si ce bien n’est pas consomptible. Ce qui permet d’étendre un QU sur des actions (chose qui d’ailleurs a selon nous fondé la jurisprudence Baylet, cass. 13.10.1998), sur du mobilier courant, des véhicules de grande distribution, etc…
  • Si l’actif démembré n’est ni fongible ni consomptible par nature, il nous paraît impossible (même si les avis divergent, voir + haut) de le soumettre conventionnellement à un quasi-usufruit portant directement sur ledit actif.
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En revanche, rien n’empêche de soumettre ce type d’actifs, non pas à une convention de quasi-usufruit, mais plus largement à une convention de démembrement.

Au sein de celle-ci, les parties (U et NP) s’entendront pour convenir à l’avance qu’en cas d’arbitrage de la PP du bien, les NP s’interdiront de réclamer alors la rupture du démembrement et la répartition capitalisée du produit de cet arbitrage.

Le maintien du démembrement, ET DONC sa « conversion » le moment venu en quasi-usufruit, pouvant donc être laissée à la main du seul usufruitier.

Etant précisé que l’arbitrage du capital démembré d’origine impliquera l’accord du NP.

Ce type de convention de démembrement pouvant être stipulé ici, comme c’est le cas

  • pour des immeubles,
  • des objets d’art,
  • des titres non négociables,
  • des créances contre une société (comptes courants d’associés)
  • ou contre un établissement financier (contrat d’assurance-vie non dénoué ; contrat de capitalisation).

 

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Et quid des autres cas où peut naître un démembrement ?

On pensera en effet à toutes les autres causes de démembrement sur parts de SCPI, qui pourraient procéder :

  • D’une donation entre vifs
  • D’une acquisition avec démembrement ab initio (sur laquelle il conviendra par ailleurs de sécuriser les problématiques résultant de la présomption fiscale simple de fictivité, CGI, art. 751).

Là encore et pareillement, la mise en place d’une convention de démembrement ciselée sera le maître-mot de l’organisation patrimoniale.

Voyons maintenant la deuxième conséquence majeure qu'on peut exciper de cette décision : cette fois au stade de la souscription elle-même des parts de SCPI !

Cette conséquence touche ici à la pratique bancaire et des établissements financiers.

En effet, si les titres de SCPI sont non négociables, et ne sont pas des valeurs mobilières, cela signifie que le souscripteur marié en communauté devrait constater la renonciation exprimée par son conjoint commun en biens à revendiquer la qualité d’associé, lors de la souscription.

Ceci dans les conditions prévues à l’article 1832-2 du Code civil.

A défaut, ledit conjoint pourra revendiquer cette qualité à tout moment tant que le divorce n’est pas prononcé (y compris donc en cas d’instance en divorce, désormais initiée par l’assignation pour toutes les procédures contentieuses entamées à compter du 1er janvier 2022), sans que l’organisme détenteur puisse y opposer un quelconque refus juridique ou technique.

 

Cette position devant être nuancée lorsque ces parts de SCPI sont les sous-jacents d’un contrat assurantiel multi supports (contrat d’assurance-vie ou contrat de capitalisation), non soumis aux dispositions de l’article 1832-2.

En effet, celui-ci qui ne concerne que la souscription de parts sociales directement. Or dans ces hypothèses, l’époux commun en bien souscrit alors une enveloppe unipersonnelle, dont c’est seulement le contenu qui est ensuite diversifié.

 

Et la 3ème conséquence : elle touche quant à elle les pratiques bancaires en matière, cette fois, de CESSION de parts de SCPI.

Ici, les conséquences de la position exprimée par la Cour de cassation se télescopent à l’article 1424 du Code civil, concernant les époux communs en biens.

Pour eux, la cession (à titre onéreux ou à titre gratuit) de titres non négociables en cours d’union implique nécessairement, à peine de nullité de la cession, la signature du conjoint du souscripteur (principe de cogestion) !

Et ce, quand bien même ce conjoint n’aurait pas pris la qualité de souscripteur en application de l’article 1832-2 du même Code (voir supra).

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De plus, ici, la réponse à adopter en présence de titres de SCPI détenus indirectement (= par le truchement d’un contrat d’assurance-vie) nous semble plus incertaine.

Et si jamais le souscripteur, époux commun en biens, ne décède pas mais perd sa capacité de signer ?

En toute hypothèse et pour le cas de l’incapacité d’un époux commun en biens,

on constate l’intérêt de la mise en place anticipée d’un solide mandat de protection future :

Celui-ci entrera dans ce type de détail, si l’on veut conférer au conjoint mandataire le pouvoir d’arbitrer seul ces titres, en cas d’inaptitude déclarée du souscripteur (voire, dans le cas inverse, celui de l’incapacité du conjoint, puisqu’il semble que la signature des deux soit requise…)

Les conséquences secouent donc des pans entiers du droit patrimonial : succession, démembrement, souscription & régime matrimonial, vente, incapacité !

Nos équipes spécialisées sont là pour bâtir avec vous, et en collaboration avec vos Conseils financiers, ce type de conventions en toute sécurité.