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Les familles et leur patrimoine
culture juridique pour tous

Aide sociale & récupération sur héritage : arroser puis moissonner

Au cours de son existence, une personne dans le besoin peut, pour divers motifs et sous diverses formes, bénéficier d’aides sociales.

Celles-ci sont alimentées par des deniers publics.

Ceux-ci peuvent donc contribuer à arroser une terre aride, mais ensuite venir moissonner sur ce qui aura germé…

c’est-à-dire donner lieu à récupération sur l’héritage laissé par le bénéficiaire.

La question se pose donc de la récupération par les pouvoirs publics (en définitive par le contribuable) sur la fortune qui finalement se révèlerait ensuite chez le bénéficiaire des aides.

Quoi ?

On verse puis on reprend ? C’est inique !

Non, c’est logique !

Puisque pour rappel, la solidarité nationale qui fonde l’aide sociale doit rester un subsidiaire.

Elle ne doit s’appliquer que si la solidarité familiale est défaillante.

C’est-à-dire seulement si les proches de l’intéressé ne disposent pas des moyens de fournir l’aide adéquate en vue de faire face aux besoins alimentaires.

Et si à son décès, le bénéficiaire laisse un patrimoine à ses proches, on peut partir du principe que ce besoin de solidarité nationale n’était pas si pressant.

Ou bien, que les choses ont changé entretemps, justifiant un certain retour.

Quelles situations de besoin ces aides peuvent-elles couvrir ?

L’aide sociale pour les adultes concerne :

  • les personnes âgées,
  • les personnes handicapées,
  • et les personnes nécessitant une aide à la réinsertion.

Certaines prestations de cette aide sociale peuvent donc être des avances récupérables.

Sachant que, pour s’y retrouver dans cette jungle des multiples aides sociales, il faut en réalité distinguer :

  1. les aides sociales au sens strict du terme, régies par le Code de l’action sociale et des familles (CASF)
  2. les autres aides publiques, versées sous forme de complément de revenu, régies par le Code de la Sécurité Sociale (CSS).
  3. On y trouve principalement aujourd’hui l’Allocation de Solidarité des Personnes Âgées (A.S.P.A).
Quels sont alors les évènements qui peuvent déclencher la récupération de ces aides ?

Ils sont foison !

Plusieurs faits générateurs peuvent entraîner la récupération de l’aide sociale, s’ils amènent à faire constater qu’elle n’était pas réellement due.

On pense aux hypothèses suivantes :

  1. Quand le bénéficiaire est revenu à meilleure fortune ;
      1. sachant que la jurisprudence veille sur les décisions prise par la commission d’aide sociale, et les tribunaux administratifs vérifient si l’on est bien en présence d’une augmentation significative du patrimoine du bénéficiaire (ex : la vente d’un bien n’augmente pas le patrimoine et ne justifie pas la récupération : ce n’est qu’une monétisation, pas un accroissement de richesse).
  2. Mais aussi au décès du bénéficiaire, à l’encontre de la succession ou, le cas échéant, à l’encontre d’un légataire

  3. À l’encontre d’un donataire (bénéficiaire d’une donation) ;
  4. À titre subsidiaire, contre le bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie souscrit par l’allocataire, à concurrence de la fraction des primes versées après 70 ans. Quand la récupération concerne plusieurs bénéficiaires, elle s’effectue au prorata des sommes revenant à chacun d’eux.
Nous nous pencherons ici spécialement sur la situation 2 = quand la récupération est déclenchée par le décès du bénéficiaire.

Pourquoi ce sujet est-il si important ?

Du fait des modalités du recouvrement !

Qu’on en juge :
  1. Ce recouvrement est effectué par les organismes ou services qui versent l’allocation.
  2. Pour les aides relevant du CSS (c’est-à-dire en pratique l’ASPA, voir ci-après), lorsque l l’allocation est versé à des conjoints, partenaires, ou concubins, tous deux bénéficiaires : elle est réputée avoir été perçue pour 1/2 par chacun des membres du couple.
  3. Si parmi les héritiers on trouve des nus-propriétaires (les enfants par exemple) et un usufruitier (le conjoint survivant par exemple), la caisse peut réclamer la totalité de sa créance aux nus-propriétaires.
  4. Prescription de 5 ans, non pas à compter du décès mais à compter du moment où la caisse a pu avoir connaissance du décès de l’allocataire, à l’occasion de l’enregistrement d’un testament ou la déclaration de succession.
Le remboursement, quand il est dû, doit être immédiat ??

Non, pas toujours.

Dans certains cas, le recouvrement peut être différé, lorsqu’il concerne :

  • Le conjoint survivant, le partenaire ou le concubin du défunt (possibilité de différé jusqu’au décès de ces derniers) ;
  • Des héritiers qui étaient à la charge de l’allocataire à la date de son décès et qui, à cette date, étaient âgés d’au moins 65 ans, ou 60 ans s’ils étaient atteints d’invalidité.

 

On le voit, les interrogations sont nombreuses.

Pour être clairs, passons en revue chacune des 2 catégories d’aides (relevant du CASF / relevant du CSS),

et chaque fois à travers ces 3 questions :

  1. quelles aides récupérables ?
  2. à quelles conditions ?
  3. sur quels biens ?
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Tout d’abord les aides visées par le Code de l’Action Sociale et des Familles :

AIDES RÉCUPÉRABLES PAR LE DEPARTEMENT 

Ce sont celles qui profitent aux personnes se trouvant dans un état de besoin alimentaire du fait de leur âge, ou d’un handicap.

Les recours à leur encontre sont régis par l’article L.132-8 du CASF, lequel  indique :

« Des recours sont exercés, selon le cas, par l’Etat ou le département :

1° Contre le bénéficiaire revenu à meilleure fortune ou contre la succession du bénéficiaire ; […]

Le recouvrement sur la succession du bénéficiaire de l’aide sociale à domicile ou de la prise en charge du forfait journalier s’exerce sur la partie de l’actif net successoral, défini selon les règles de droit commun, qui excède un seuil fixé par voie réglementaire. »

Rappelons que nous abordons ici le cas essentiel des aides récupérables contre la succession, donc contre les héritiers (et légataires universels). Même s’il faut garder à l’esprit qu’il existe également des recours contre :

  • les donataires,
  • les légataires à titre particulier,
  • et dans certains cas désormais (depuis la loi du 28 décembre 2016) contre les bénéficiaires de contrat d’assurance-vie.

 

Très bien.
Mais alors dans ces cas de succession, qu'est-ce qui peut donc être récupéré, et qu'est-ce qui ne le peut pas ?

Les aides sociales récupérables dont peuvent bénéficier les personnes âgées ou handicapées sont :

  • l’aide à domicile et aide-ménagère,
  • la participation aux frais de placement en établissement.

 

Mais exception !

= l’allocation personnalisée d’autonomie (A.P.A) dont peuvent bénéficier les personnes âgées n’est pas récupérable, en vertu d’une dérogation spéciale : l’article L. 232-19 du CASF.

 

Par ailleurs, l’allocation aux adultes handicapés (A.A.H) n’est jamais récupérable.

  • Mais attention toutefois : quand la personne handicapée atteint l’âge de la retraite, l’AAH est remplacée par l’ASPA (ancien « minimum vieillesse », voir + loin) ; et elle, elle pourra être récupérable.

Enfin, au décès d’une personne bénéficiaire de la prestation de compensation du handicap (PCH), ses ayants droit ne sont pas non plus tenus à remboursement.

 

Et quand il faut rembourser, la question qui panique :
qui sont les héritiers concernés par le recours ?
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Par principe, tous les héritiers légaux sont concernés, ainsi que les légataires universels et à titre universel.

MAIS (car sinon ce serait trop simple…)

il existe des conditions supplémentaires, pour les aides versées aux personnes handicapées !

En effet, la récupération n’aura pas lieu contre le conjoint, les enfants, ou la personne qui a assumé, de façon effective et constante, la charge du handicapé (CASF, art. L. 241-4).

Nous renvoyons à cet égard vers notre publication antérieurement effectuée sur ce sujet précis (« Récupération des aides sociales et dévouement envers une personne handicapée »).

Et d’une façon générale, rappelons que de toute façon, le recours en récupération, comme son étendue, relèvent du pouvoir discrétionnaire du créancier d’aide sociale.

Cela signifie que même en présence d’une situation où toutes les conditions sont réunies, ce créancier peut malgré tout s’abstenir de récupérer la créance, ou décider de se limiter à une partie (alors même qu’il s’agit initialement de fonds publics).

Et quelle est l’assiette du recours ? Jusqu'à quel montant ?

L’assiette prise en compte se compose des biens existants au jour du décès, pour leur valeur réelle à cette date, situés en France ou à l’étranger, y compris tous meubles et objets (le « forfait fiscal » de 5%, conçu pour le calcul des droits de succession, ne s’applique pas ici).

Ici et par principe, on ne réintègre pas fictivement :

  • les libéralités consenties par l’allocataire,
  • ni les contrats d’assurance vie qu’il a pu souscrire,
  • sauf bien sûr l’habituel cas de la fraude : « primes manifestement exagérées » selon l’article L.132-13 du Code des assurances.
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« le tricheur à l’as de carreau », Georges de La Tour, 1636-1638

De cet actif sont déduits les dettes du défunt, et les frais funéraires pour leur montant réel (sauf caractère excessif).

En revanche la créance d’aide sociale ne peut pas elle-même être déduite ! (Cass., 2ème civ., 22 janvier 2015, n°13-26.257)

Chaque héritier acceptant la succession contribuera à son remboursement, au prorata de la part qu’il recueille dans la succession.

Et c'est tout ?
On calcule la récupération sur cet actif net, quel que soit le niveau de cet actif ?

Oui, pour les aides relatives à l’hébergement en établissement : car les concernant, il n’existe aucun seuil.

En revanche, pour les aides à domicile, au profit des personnes âgées et des personnes handicapées, on constate des seuils de récupérabilité :

  • un seuil de récupération imposant un actif successoral minimum de 46.000 €, en dessous duquel la récupération ne peut pas s’opérer.
  • une franchise sur le montant de la créance : les 760 premiers euros ne sont pas récupérables.

 

Passons maintenant à la 2ème catégorie d'aides !

oui, celles visées par le Code de la Sécurité Sociale :

L’ALLOCATION DE SOLIDARITÉ DES PERSONNES ÂGÉES (A.S.P.A)

Ce sont les recours exercés par :

  • les CARSAT (Caisse d’assurance retraite et de santé au travail),
  • les MSA (Mutualité sociale agricole),
  • ou encore par la CDC (Caisse des Dépôts et Consignations). sont régis par l’article L. 815-13 du CSS.

Ils sont régis par l’article L.815-13 du CSS.

Cette disposition prévoit que « Les sommes servies au titre de l’allocation sont récupérées après le décès du bénéficiaire dans la limite d’un montant fixé par décret et revalorisé dans les mêmes conditions que celles prévues à l’article L. 816-2 […] »

Et ici, quelles sont les aides récupérables ?

Soyons clairs.

La seule aide du Code de la Sécurité Sociale qui reste à ce jour récupérable est l’A.S.P.A (Allocation de Solidarité aux Personnes Agées, nouveau nom depuis 2006 de l’ancien Fonds de Solidarité Vieillesse, FSV).

Car par ailleurs :

  • l’A.S.I (Allocation Supplémentaire d’Invalidité) n’est plus récupérable depuis 2020 (recours supprimé par la LF du 28.12.2019).

Sachant que le critère est bien la date du décès, et non celle du versement de l’aide. Donc en présence d’un décès survenu après le 1.1.2020, l’A.S.I n’est pas récupérable, même si elle a été versée avant cette date.

 

  • Ni le revenu de solidarité active (RSA).
Quels sont ici les héritiers concernés par le recours ?

Tous les héritiers légaux, légataires universels et à titre universel.

Ici, pas d’exonération légale liée au lien de parenté.

Mais d’autre part, aucun recours direct contre les bénéficiaires d’assurance-vie ou les donataires.

En revanche « une intégration fictive » de ces éléments pour déterminer l’actif de la succession est possible :

le créancier d’aide sociale ne peut saisir directement ces valeurs, mais il peut les joindre au total pour calculer si l’héritage excède les seuils ci-dessous.

Quels seuils ?

Le seuil de récupération de l’A.S.P.A a été modifié en 2023 pour l’augmenter notablement, puisqu’on est passé d’un seul coup de 39.000 € à 100.000 €.

Attention toutefois, ça n’est vrai que pour les décès survenus à compter du 1.9.2023 : avant, on reste avec l’ancien seuil de 39 k€..

De plus, la loi prévoit désormais une revalorisation annuelle de ce seuil.
Il a donc déjà bougé (103.500 € au 1.1.2024)

Donc, pour savoir si l’on est concerné, il faut correctement déterminer l’actif à prendre en compte.

Or, il contient ici :

  • les biens existants au jour du décès, pour leur valeur à cette date,
  • Dont sont déduites les dettes du défunt,
  • Mais sans déduire les frais d’acte, ni les droits de succession, ni la dette d’aide sociale elle-même. Et s’agissant des frais funéraires, la jurisprudence a considéré qu’ils ne pouvaient être ici déduits que dans la limite du forfait fiscal, soit 1.500 €.

 

Sans autre correctif ?

Si !

À cet actif net, les créanciers de la récupération peuvent ajouter les libéralités consenties par l’allocataire (quelle qu’en soit la forme) ainsi que les primes versées sur un contrat d’assurance vie.

L’article D. 815-6 du CSS précise la condition de cette intégration :

  • Les libéralités doivent avoir été accordées (ou les contrats d’assurance vie conclus) postérieurement à la demande d’allocation;
  • Ces libéralités doivent être manifestement incompatibles avec les ressources ou les biens déclarés par l’allocataire;
  • Ces libéralités et ces primes, en minorant l’actif net successoral, doivent avoir eu pour effet d’empêcher le recouvrement de l’allocation sur la succession.

 

Et qui paie ?

Chaque héritier acceptant, au prorata de la part qu’il recueille dans la succession.

 

On le constate,

S’y retrouver dans le détail et l’évolution constante de ces règles est affaire de spécialistes. N’hésitez pas à solliciter nos services dédiés.