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Les familles et leur patrimoine
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Le nu-propriétaire débarque de force chez l’usufruitier : comment se protéger ?

                                                                                                                                     (photo : Shining, de Stanley Kubrick, 1980)

je donne la nue-propriété d’un bien à l’un de mes proches, stipulant dans l’acte que je conserve pour moi l’usufruit du bien toute ma vie.

Ce bien n’est plus le mien, certes : mais à moi le droit de continuer à l’utiliser jusqu’au bout, et comme je l’entends.

Mais voilà que ce proche, sans vergogne, sans attendre mon décès, et d’autorité, s’installe dans le bien ! Sans mon accord, ni même loyer !

Quel sans gêne et manque de gratitude ! ça ne va pas se passer comme ça, et je vais réclamer devant les tribunaux le respect de mes droits, clairement stipulés depuis le départ.

Puisque c’est comme ça, pan ! je revendique la révocation de la donation !

Que vont répondre les juges ?

Position surprenante des juges d'Appel

Dans un arrêt du 24 avril 2024 (n° 22/01797), la cour d’appel de Paris adopte un parti aussi étonnant que semble-t-il inédit. Contre l’avis des juges de première instance, qui avaient accueilli la demande de l’usufruitier, elle estime qu’il n’y a pas lieu à révoquer la donation.

Quel est son raisonnement ?

Quels sont donc les critères de la révocation d'une donation ?

Il est bon de rappeler qu’un acte de donation est une décision grave, puisqu’il s’agit d’un contrat spécialement irrévocable.

Ce n’est donc que si l’on se trouve dans l’une des trois seules exceptions, très limitativement énumérées par l’article 953 du Code civil, que la question peut s’envisager.

Parmi celles-ci, l’hypothèse où le donataire ne respecte pas les conditions imposées par le contrat de donation (au passage, on notera d’ailleurs que lorsqu’il n’y a pas de contrat, c’est à dire en présence de simples dons manuels seulement déclarés au fisc mais sans le socle d’un vrai acte, adios cette possibilité..).

Ici, notre donateur soutenait être précisément dans ce cas : je garde l’usufruit, il me prive de ma jouissance des lieux, le donataire ne joue donc pas le jeu !

Il méprise les conditions qu’il avait pourtant acceptées !

charge ou condition ?

En réalité, la cour d’appel observe ici :

  • que l’acte de donation  ne contenait aucune condition spécifique
  • que la clause qui y prévoyait la faculté pour le donateur de révoquer le contrat, en cas d’inexécution de ces conditions, n’était donc qu’une clause de style, rédigée aveuglément. Elle prétend que « celle-ci est systématiquement insérée, même en l’absence de charges particulières, sans que sa rédaction soit pour autant modifiée« .

Elle balaye donc la portée de cette clause et d’autres très habituelles, comme l’interdiction de vendre sans accord préalable, ou de mettre en commun avec un conjoint.

Ceci, de façon un peu rapide et périlleuse, selon nous, mais là n’est pas le sujet.. (ce sera peut-être celui de la Cour de cassation, si le litige remonte jusqu’à elle).

Tout est dans le sous-entendu

Mais l’essentiel du raisonnement des juges d’appel repose sur un point de vue implicite : la réserve d’un usufruit par le donateur, en soi, ce n’est pas une condition de la donation. C’est une charge, pesant temporairement sur le bien donné.

Donc il n’y avait ici pas de conditions.

Donc pas de possibilité d’inexécution.

Donc pas de révocation envisageable.

CQFD.

Moralité : Stipulons des clauses précises et personnalisées dans les contrats de donation

Si la décision de la CA de Paris n’est pas forcément garantie dans sa pérennité (elle se contredit avec de nombreuses décisions antérieures : cass. soc. 1.12.1953, CA Pau, 1re ch., 4.4.1990, cass. 1e civ. 5.5.1998,…), elle aura néanmoins un mérite indirect.

= Souligner à quel point la précision et la personnalisation des contenus ne nuiront jamais.

Nous l’avons dit, donner est une opération grave : il faudrait être fou pour la réaliser sans écrire les choses proprement.

Par exemple, stipuler "je conserve l'usufruit" c'est très bien, mais si des travaux de gros œuvre deviennent nécessaires pendant la durée de cet usufruit ?

Certes, le code civil (article 605) dit que leur coût incombe au nu-propriétaire.

Mais en revanche, rien dans la loi ne le soumet à un quelconque calendrier !

Si ça le chante, et même si ça nuit à la valeur de son bien, il peut décider d’attendre d’être pleinement propriétaire avant de débourser un centime…

Pendant ce temps, l’usufruitier subira, sans aucun moyen de contrainte légale.

Ce n'est que si conventionnellement, dans l'acte de donation, il a fait de cette contrainte une CONDITION de la donation, qu'il pourra s'appuyer sur l'irrespect de celle-ci pour faire valoir ses droits...

Ce n’est bien sûr qu’un exemple parmi la foule des situations, des besoins et des objectifs, qu’il s’agisse de l’usufruitier ou du nu-propriétaire.

Et pour s’en emparer avec soin, pour un parfait équilibre du contrat, rien de tel que d’être guidé par nos équipes de spécialistes, à l’écoute de chaque situation